
Henry Bukowski, américain d’origine allemande, accomplit son service militaire à Andernach, Allemagne. Il y rencontre Katherine Fett, jeune femme effacée. Leur fils Henry Charles Bukowski Junior naît le 16 août 1920. nota : Par rejet de son père, le Bukowski qui nous intéresse n’utilisa jamais son premier prénom de Henry et se fit appeler Charles. C’est par ce prénom de Charles ou le surnom de Buk, que nous l’appellerons par la suite. Ses intimes l’appellent Hank. En 1922 les Bukowski quittent l’Allemagne pour Los Angeles, USA. Henry Senior y travaille comme livreur de lait. La ville est en pleine expansion, ils habitent une petite maison dans un quartier populaire.
Ecole primaire : première rouste de son père, à la ceinture. Première dérouillée d’une longue série. Henry est un homme violent qui battra également sa femme, qu’il domine totalement, sous les prétextes les plus fallacieux. L’univers de Charles est très restreint : son père lui interdit de jouer avec les gosses du quartier, des vauriens, gosses de pauvres. Henry souhaite ardemment être riche, si ardemment qu’il arrivera à se convaincre qu’il est riche. Dépourvus de tous talents, il n’y parviendra jamais. Il passe ses frustrations dans ce despotisme familial. Coupé de contacts extérieurs, Charles commence à traîner derrière lui les parias : loucheurs, rouquins, handicapés, exclus tout comme lui. Les gosses sont cruels. Voir à ce sujet le poème Le fou m’a toujours aimé dans L’amour est un chien de l’enfer – tome I. Alors qu’il est en classe de 7e, le président Hoover fait une apparition publique à L.A. L’institutrice demande à chaque enfant de raconter cette visite et l’allocution du président au coliseum du parc des expositions de la ville. Les Bukowski n’y vont pas. Ne sachant comment échapper à cette situation, Charles invente de toutes pièces une longue rédaction que son institutrice lit devant toute la classe. Charles le paria, le solitaire, le vilain petit canard est mis en lumière. Tous le regardent. Les durs. Les filles. Ce jour là, il est reconnu. De longues années après, Charles/Buk situera cet épisode comme le premier jour de sa vie où il eut le sentiment d’être un écrivain.
Il comprend aussi ce jour que les gens n’ont pas envie d’entendre la vérité, mais plutôt de jolis mensonges. Sa perception de l’humanité en restera marquée. Charles apprendra dès lors à se servir de trois armes : l’ironie, le silence, et le sarcasme. Il respectera l’honnêtetéet la sincèrité. Il suit un moment une éducation catholique (ses parents le sont), mais quittera très vite ce dogme dont le Dieu lui rappelle trop son père. En octobre 1929 c’est le jeudi noir, un crack boursier qui marque le début de la grande dépression américaine. Les petites gens comme les Bukowski prennent le choc de plein fouet. Henry perd son emploi, Katherine fait des heures de ménages. C’est vers cette période que Charles découvre l’alcool, avec un camarade de classe surnommé Baldy (Le chauve). Le père de Baldy est un ex-chirurgien qui a perdu le droit d’exercer à cause de son alcoolisme, sa cave est pleine de tonnelets de vins. Baldy y entraîne Charles. C’est magique. Il ne s’est jamais senti aussi bien. Avec ça la vie est belle, avec ça c’est un géant.
1933, Hitler accède au pouvoir en Allemagne et Charles entre au collège. C’est un solitaire, mais c’est alors par choix qu’il est dans la marginalité. Un déclic se produit lors d’une énième raclée à la ceinture de son père. Il n’a plus peur, ni de Henry Sr ni de la douleur. Buk développera à ce sujet une intéressante théorie de “l’Homme Frigorifié” dans la 38e chronique du Journal d’un vieux dégueulasse. C’est vers cette époque que Charles se plonge dans la bibliothèque locale. Il devient un lecteur effréné: Sinclair Lewis, D.H. Lawrence, Carson McCullers, Ernest Hemingway, John Fante et bien d’autres, tout y passe. Automne 1935, 15 ans : Charles entre à la Los Angeles High School sur l’injonction de son père. Ce lycée est fréquenté par des jeunes de toutes classes sociales, notamment des enfants de familles bourgeoises. Il se sent minable faces à ces élèves bien habillés qui viennent en cours avec leur propre voiture. Le courroux des dieux s’abat sur lui : son corps se couvre d’acné. Pour échapper aux cours de sport et à la nudité des vestiaires qui révéleraient son état, Charles opte pour le ROTC (Reserve Officers Training Corps: unité d’entraînement des officiers de réserves). Son acné prend de telle proportion qu’il se voit comme un monstre dont aucune femme ne voudra jamais. Il se replie encore plus sur lui-même.
Katherine perd ses heures de ménages. Henry continue de partir au “travail” tous les matins pour cacher aux voisins sa condition de chômeur. Fin 1936 son acné a pris de telle proportion qu’il doit interrompre sa scolarité. Il finira par se rendre à l’hôpital général du comté de L.A. ou des mois durant on percera ses pustules à l’aiguille électrique. Puis les U.V.. Puis des bandages. Pendant ces mois de réclusion, Charles écrit sa première nouvelle. Une histoire abracadabrante inspirée par l’as de l’aviation de la première guerre mondiale, le baron Manfred Von Richthofen. Il est exalté par cette construction de toutes pièces d’un univers et de personnages. Il comprend qu’il dispose dans l’écriture d’un exutoire à sa condition. Il n’en apprécie en outre que plus la solitude qui lui a permis cette découverte. Avec ses lectures, cette révélation lui laisse envisager pour la première fois de devenir écrivain. La grande dépression américaine se tasse. Henry retrouve un emploi de gardien de musée. Charles ne peut donc plus prétendre à des soins gratuits à l’hôpital. Il reprend sa scolarité. Son corps et son visage resteront à jamais marqués des cicatrices de son acné.
Charles a 17 ans. Il commence à boire régulièrement, avec des camarades plus âgés. Ses beuveries nocturnes n’échappent pas longtemps à ses parents. Il ne dissimule d’ailleurs pas ses gueules de bois. C’est de retour d’une de ces ivresses, lors d’une engueulade avec son père, que Charles envoie Henry au tapis d’un uppercut au menton. C’est fini. Plus jamais son père ne le battra. Mais il a encore besoin de lui pour vivre. En 1939 Hitler envahit la Pologne, c’est le début de la deuxième guerre mondiale. Carson Mc Cullers écrit Le coeur est un chasseur solitaire, Ernest Hemingway Pour qui sonne le glas, Chaplin sort Le dictateur. Au lendemain de l’obtention de son diplôme, premier contact avec le monde du travail, dans un grand magasin. Il comprend très vite qu’il ne gardera pas longtemps cet emploi : sacrifier tant d’heures de sa vie à des taches absurdes, supporter l’autorité des petits chefs, s’en satisfaire. C’était fatal : il est licencié au bout de quelques jours. Charles ne comprendra jamais que les gens puissent avoir peur des réalités économiques et se soumettent ainsi aux humiliations et aux défaites qui accompagnent le travail. Ce même processus: petit boulot, rien à secouer, vidé au bout de quelques jours se répétera jusqu’à son entrée à la poste dans les années 50.
Septembre 40 : il faut bien faire quelque chose, Buk entre à l’université. Cours de journalisme, théâtre, anglais et histoire. Il n’en fiche pas une. Cenpendant décrocher la moyenne ne lui pose pas de problème et lui suffit amplement. Par pure provocation et dégoût du patriotisme ambiant, il joue les pro-nazi. Voir la nouvelle Politique dans Au Sud de nulle part. Buk ne se voit d’avenir que comme clochard ou écrivain. Il boit toujours beaucoup. Son père finit par découvrir les manuscrits de ses nouvelles dans un tiroir de sa chambre et, furieux, le jette à la rue. Pour un dollar cinquante la semaine, il installe sa machine à écrire et sa radio dans une chambre du quartier philippin de L.A. Il est ravi : c’est juste au-dessus d’un bar. Il passe de plus en plus de temps à traîner dans les rues. Il prépare son avenir en fréquentant les clodos. En décembre 1941, c’est l’attaque japonaise de la flotte américaine dans le pacifique : Pearl Harbor. Becker, l’un de ses rares amis, s’engage. Buk, qui avait par ailleurs tiré un numéro d’incorporation très élevé, refuse de le suivre trouvant tout cela absurde. Il ne reverra jamais Becker. On est à la fin du roman Souvenirs d’un pas grand-chose, où Bukowski raconte tout ça lui-même. L’essentiel est en place: l’alcool, la solitude, Los Angeles, le rejet du travail. Manquent les femmes : un univers qui lui est encore totalement étranger.